Tina annonce avoir 35 ans, mais son corps et son visage en inspirent 15 de plus. De nationalité nigériane, elle quitte son pays avec son proxénète pour travailler en Côte d’Ivoire. Travailleuse du sexe, elle connaît un certain succès. « Il a donc décidé de m’emmener en Europe », explique-t-elle. Mais le périple s’arrête en Mauritanie. « Mon mac m’a alors demandé d’aller me prostituer au Mali pour financer le voyage. » La voici à Bamako, une ville qu’elle ne connaissait pas, sans repère, sans famille. Son destin change le jour où elle rencontre Feu Dr SIDIBE Garangué SOUKO, en 2000. Fondatrice et Directrice Exécutive de l’ONG SOUTOURA, Feu Dr SIDIBE Garangué SOUKO lui propose de devenir paire-éducatrice, notamment en direction des travailleuses du sexe nigérianes, et plus généralement anglophones, et leurs boyfriends. « Ma vie a changé, elle m’a sortie de la rue », témoigne-t-elle assise sur le banc de béton situé dans l’arrière-salle d’un bar situé sur une des avenues les plus fréquentées de Bamako, au Mali. Aujourd’hui, Tina est devenue la « maman » de substitution des filles qui ont suivi le même parcours qu’elle. Dr KEITA Aminata Saran SIDIBE, qui a pris la suite de la fondatrice de SOUTOURA, décédée en juillet 2019, témoigne de l’investissement de Tina : « elle est là tous les jours, tout le temps. Même lorsque l’ONG rencontre des difficultés financières et doit réduire ses activités, elle continue bénévolement. »
Tina AGBONAVBARE, ou Momy ou Anty, comme l’appellent les travailleuses du sexe anglophones, joue un rôle très important à SOUTOURA où elle a gravi tous les échelons comme agent communautaire, de paire-éducatrice à coordinatrice. En 2005, elle obtenait le prix de meilleur agent communautaire du programme de lutte contre les IST, le VIH et le Sida du consortium PSI Mali et Groupe Pivot Santé Population, financé par l’USAID. Sista Tina aide beaucoup les femmes qui évoluent dans la prostitution à travers l’offre de paquets de services : la sensibilisation, le dépistage classique et la dispensation de l’autotest, la distribution des préservatifs et de gels lubrifiants, l’orientation des personnes dépistées positives vers le traitement et leur suivi jusqu’à la suppression de la charge virale. Son soutien dépasse également le cadre sanitaire puisqu’elle accompagne les filles dans leur relation avec les forces de l’ordre, l’ambassade de leur pays d’origine ou encore pour l’ouverture de comptes bancaires.
Dans l’établissement, elles sont une quarantaine à naviguer entre le bar et l’arrière-salle, où se situent des chambres de passe de 5 à 6 m2 qu’elles se partagent à 3, leur intimité étant tant bien que mal préservée par des rideaux. Jour et nuit, elles accompagnent les hommes qui les sélectionnent, pour de rapides passes rémunérées au mieux 2 000 FCFA (3 euros). « Les nuits du vendredi et du samedi, elles font jusqu’à 30 passes chacune », explique Dr KEITA Aminata Saran SIDIBE. Tina s’inquiète pour « ses filles », leur santé, mentale et physique. « J’ai eu la chance de rencontrer de l’aide, j’essaie de le rendre, de sortir ces filles de la rue, et à défaut de les soutenir. » Tina, qui connaît son statut sérologique mais le conserve secret, incite les filles à se dépister. Ce jour de sensibilisation au bar, le thème est l’autotest de dépistage du VIH. Car si elles se testent régulièrement à la Clinique SOUTOURA, cette stratégie complémentaire de dépistage leur permet de proposer le dépistage à leurs boyfriends comme elles les nomment, leur partenaire régulier. « Nous voulons par-dessus tout qu’ils demeurent en bonne santé », expliquent-elles. L’autotest de dépistage du VIH est plutôt bien accepté par ces hommes, « car ils peuvent le réaliser en toute discrétion à la maison, sans avoir besoin de révéler qu’ils fréquentent une travailleuse du sexe. » Tina a toute la confiance des filles. Elle évolue dans le bar comme une maman bienveillante, attentive à améliorer autant que possible un quotidien très difficile. Aider ces jeunes filles, la raison d’être de Tina, qui aujourd’hui se dit « heureuse » et éternellement reconnaissante à Feu Dr SIDIBE Garangué SOUKO.
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